Rétroviseur, ou comment voir derrière en regardant de coté



Chronique du futur d’un apprenti poète maudit

J’ai 19 ans. Je me casse de Science Po. Je vais convaincre un ami de faire le tour du monde avec moi, avec juste un sac à dos, nos maigres comptes en banques, et des rations d’alcool. Je laisserais un mot à mes parents pour ne rien leur dire, et nous partirons. En chemin, notre latente nature alcoolique s’émancipera. On fera l’amour quelques fois, pour voir. Mais la plupart du temps, on chopera des filles, gratuites ou non, pour rendre le voyage plus prolifique. Je commencerais à écrire de la prose, des vers, plus que tout sur rien. J’en jetterais quelques gribouillages au visage des gens qui ne voudront pas nous donner l’aumône. On vivra de sexe et de vodka fraîche, comme nous l’avons toujours ambitionné. Une fois rentré, je garderais ma barbe, acquisition utile : une barbe ça emmerde la société.

Je recontacterais mes amis, mais lassé de leur présence et de leurs compliments sur mes écrits, je me réfugierais dans une chambre d’un ex-hôtel de passe, rue Bayard. Là je cultiverais mon penchant éthylique, et je publierais mon premier recueil, ainsi qu’un livre racontant notre périple de solitude. Remportant un prix littéraire, j’irai à la remise de mon papier encadré et me servirais gracieusement des coupes d’un champagne hautain. C’est ivre et vivant que je balancerais mon verre sur le regard condescendant d’un académicien m’ayant qualifié de poète. Le procès me sucrera la thune de mon prix et je devrais me rationner afin de payer mes dettes juridiques à la société. On parlera de moi dans Libération, et mon caractère invivable me permettra de baiser avec quelques célébrités du petit écran comme du grand, de Laura Smet à Thierry Ardisson, prenant du plaisir à marquer de mon corps ces chairs non-vivantes. Puis j’entamerais ma période coke, putes, écriture. J’abandonnerais rapidement, mes œuvres voisinant trop celles de mon auteur favori du moment : Charles Bukowski. Je publierais quelques-uns de mes poèmes en prose, histoire d’avoir les moyens nécessaires pour rencontrer la mescaline et le peyotl. Diversifiant dès lors mon écriture et m’éloignant de mon style trop lyrique, j’en deviendrais volontairement dépendant.

Apprenant la guérison sanglante d’une nouvelle révolte étudiante en Iran, j’orienterais mes vers en direction d’une révolution nécessaire, et l’héroïne me permettra enfin d’entrer dans ma crise d’adolescence. Je finirais par fonder un mouvement anarchiste dur, que je baptiserais d’un nom débile, en pied de nez aux autres organisations seulement lâches. Incendiant bâtiments publics et mon statut de jeune révolté cool, la justice sera la seule à vraiment me reconnaître, et pour cela, j’arrêterais d’écrire. Mais je finirais par m’énerver contre la passivité et la lenteur de mes camarades et lors d’une soirée, à l’aide de tessons d’une bouteille superflue, je ne les tuerais pas totalement, au contraire de mes actions passées. En prison je serais encore seul, les autres pensionnaires ayant peur de moi depuis le premier jour où je me serais fait violé avec un consentement béat. Je retomberais dans l’écriture, et ce sera la seule période de ma vie où je créerais vraiment, l’unique moment où je m’affirmerais en tant que moi, et moi seul, isolé parmi la foule exclue de la société. Dépassé par tant de transcendance, mon esprit m’échappera et de prisonnier, je deviendrais aliéné. Grâce à plusieurs séjours en chambre blanche, je retrouverais mon semblant de contrôle et déciderais de vite sortir de cette maison d’incompris, mon moi m’échappant car ayant du mal à supporter le manque d’illégalité dans mes veines. Retrouvant le monde fou, je découvrirais dans les librairies quelques livres d’obscurs psychanalystes et essayistes s’étant penché sur mon cas. Ne m’intéressant pas, je trouverais la chose futile. Au fur et à mesure du temps, illégalisant de plus en plus ma dépendance à la vie, je deviendrais haineux envers tant d’humanité autour de moi, et déciderais d’exécuter le dernier acte anarchiste de tous les temps : aller faire la mort au président Sarkozy. Lorsque sa garde personnelle m’aura plombé le corps, ils retrouveront plaqué dans mon anus mon testament, indiquant d’incinérer mon cadavre au milieu d’un autodafé de mes œuvres dans la forêt de Brocéliande, où je ne serais jamais allé. J’avais 27 ans.

Une amie déprimera toute sa vie et viendra me porter des fleurs chaque jour. Mon compagnon de route se suicidera. Quelqu’un ayant lu l’intégrale de ma production décidera par frustration que j’écrivais avec de l’arrogance et sans style, ce en quoi il aura raison. Une autre personne dira que j’ai bien changé quand même. Quelqu’un boira une fois à mon vivant. Une fille me jalousera et par désenchantement deviendra haute fonctionnaire d’Etat. Pas mal trouveront cela cocasse, pour d’autres ce ne sera pas important, j’étais devenu un salaud, et la plupart chercheront à comprendre mais n’y arriveront pas, « il était pourtant si gentil ».

Moi je m’en fous, je veux vivre… Comme Faudel *




* Quand on y réfléchit, personne ne m'a jamais dit qu'il trouvait la fin rigolote.
Zut !

Commentaires

Julie d'Ailleurs a dit…
Dis, c'quoi la photo, dis dis dis ...?
Marc a dit…
celle de l'article ?
bah une photo gagnée sur google image en tapant solitude ou mélancolie je sais plus