"N'oublie pas ton cauchemard"

L'attente avait été parfaite. Entre le contrôle de mon identité et celui du poids de mes bagages, j'avais juste eu le temps de finir mon livre et de le laisser à quai sur mon siège. Qui l'aurait, lirait.
Dans l'avion l'atmosphère était calme, voire un peu trop taiseuse. Les gens bien éduqués et polis échangeaient des regards compréhensifs et cordiaux tandis que les zexcuzémoa se succédaient, permettant aux éloquents de rejoindre leur place. J'étais pour ma part situé en milieu de rangé, entre une femme quelconque et un quidam standard. J'ai déplié mon journal acheté au tabac-presse et commençait à lire, jetant de temps à autre un regard à l'extérieur pour observer la nuit qui était désormais tombée.

La panique gagnait la foule qui se ruait densément vers divers moyens de locomotion à l'utilité bien définie : permettre la fuite. L'alarme de la ville donnait de la voix de manière régulière. Cela arrivait. Était même là. Dans le chaos assourdissant qui accompagnait les bruits de pas désespérés, les regards se tournaient convulsivement vers le ciel à leur recherche mais ne trouvaient aucun point d'appui saisissable. Savoir que l'ennemi est là est une chose, pouvoir l'identifier en est une autre et l'absence de tout visuel, de tout repère permettant de discerner la chose - quoiqu'elle fut - participait au désordre établi.
Où fuir si l'on ne sait pas à quoi on veut échapper ?

Regardant par le hublot les voitures et piétons allant dans toutes les directions, je me dis que j'ai fait le bon choix. Prendre cet avion n'avait pas été sans mal et si je laissais derrière moi beaucoup, la décision n'avait pas été si difficile à prendre. C'était logique. Les autres passagers semblaient partager mon sentiment et aussi, lorsque les premières explosions commencèrent à retentir derrière l'appareil, c'est avec une relative sérénité que nous observâmes l'avions rouler hors du tarmac pour fracasser les grillages, sortir de l'aéroport et s'engager sur le terrain herbeux le jouxtant.

Depuis le sommet de la colline surplombant la ville, on pouvait aisément observer l'agitation qui s'accélérait. De toutes parts, les petites fourmis humaines se ruaient sans aucune forme d'orientation outre que celle de la peur. La destruction de l'aéroport avait mené trois avions à tenter leurs chances par la route, écrasant véhicules, structures et gens qui se mettaient sur leurs chemins grâces à leurs puissants propulseurs.
Les machines descendaient progressivement du ciel à travers les nuages. De forme oblongue, elles émettaient des bruits répétitifs qui rythmaient la cadence de clignotement de leurs nombreuses lumières. De plus près, en s'approchant, on pouvait distinguer ces bruits et même les reconnaître. Des noms. Et des parties de corps. Des noms par dizaines, par centaines étaient proférés et dans la continuité était appelé un membre ou un organe, alors partait un faisceau qui ciblait une personne pour faire disparaître le morceau de son corps sélectionné. Partait ensuite un laser qui annihilait simplement le reste de l'organisme, sans effusion, sans bruit.

Depuis le hublot, j'observais la débâcle se déroulant. L'avion fonçait à pleine vitesse sur la colline et en contrebas c'était un carnage implacable qui se déroulait sous nos yeux. Des chasseurs étaient arrivés mais aucun de leurs missiles ou de leurs tirs n'atteignaient les machines car elles ne leur en laissait pas le temps : aussitôt repérés, les appareils étaient détruits. J'assistai impuissant au massacre, les machines étaient désormais en chasse des personnes réfugiées dans les bâtiments, éventraient ceux-ci et grâce à leurs faisceau lévitaient les humains en l'air avant de, semble-t-il, leur sectionner une partie de leur corps et de les exterminer. Par centaines les corps volaient dans les airs. L'avion roulait toujours.

Mû par une tentative désespérée de décollage, le dernier avion tenta de prendre son envol sans suffisamment d'élan en utilisant la force de ses propulseurs ventraux. Une machine se déplaça à sa hauteur et, alors que l'avion parvenait péniblement à décoller du sol, le tracta en l'air et commença à découper la carlingue.

Le bruit assourdissant des moteurs et du fuselage découpé au laser me clouait à mon fauteuil. Devant moi, des personnes tentaient vainement de se détacher et de fuir l'énorme masse qui se dessinait au dessus de nous, à travers le toit éventré de l'appareil. Les gens couraient et des noms fusaient, puis les gens disparaissaient. J'ai entendu mon nom. J'ai essayé de me lever.

Une fois l'appareil vidé de ses occupants, la machine s'en désintéressa et le laissa retomber au sol dans une formidable explosion. Puis elle s'en alla vaquer à d'autres occupations.

J'ouvre les yeux difficilement et je me rends compte que je suis posé sur une surface plate qui semble en mouvement. Devant moi, impeccablement découpée, se trouve ma main droite. J'essaye de bouger mon corps ou des parties pour essayer de m'extraire du sol mais peine perdue, rien ne répond. Lorsque j'essaye ma main droite, celle-ci parvient légèrement à se mouvoir, guère plus. Je comprends alors que je n'ai que ma tête sur le sol, et que je suis dans l'incapacité total de pouvoir échapper à cette condition physique. J'essaye de hurler.

Sur le tapis roulant bleu qui achemine les membres et organes collectés vers une destination inconnue, une tête posée bien droite effectue un rictus effrayant. Elle semble vouloir hurler. Aucun son ne sort de sa bouche.

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