Dans la ville des chats (suite)

Abandonné dans la ville des chats et sans autres compagnons que les félins eux-mêmes, il sombra tout d'abord dans une dépressive solitude. Le jour il se contentait d'explorer la cité à la recherche de moyens de subsistance et d'une cachette, car la nuit les chats sortaient. Et à cause d'eux, il ne pouvait fermer l’œil. Le plus souvent recroquevillé dans une baignoire ou un placard, il les entendait grouiller, feuler, minauder : un concert inquiétant qui ne cessait qu'à la pointe du petit jour. Alors il pouvait fermer les yeux et s'assoupir, dans le silence du matin.

Au bout de quelques temps, il cessa d'aller à la gare attendre le train qui l'avait amené ici. Tout espoir de s'enfuir d'ici par ce moyen est futile, ce qu'il accepta. Si il existait une sortie, elle se trouvait ailleurs, peut-être dans la ville, peut-être au dehors. Il continua donc son exploration, dormant de moins en moins et errant parfois dès le matin, l’œil torve et la démarche de plus en plus oscillante.
Une nuit, alors qu'il logeait gelé genoux contre torse dans une penderie vide, il sentit craquer et fendre le mental qui lui restait. Il se rua au dehors, dans la chambre, en poussant des cris. Il n'y avait plus de terreur, seulement de la rage.

Les chats s'écartaient sur son passage, bondissant aléatoirement ci et là et changeant de trajectoire. Sans vraiment le voir, ils l'esquivaient comme on se réfugie par réflexe à l'abri d'un vent glacé. Lui, les lèvres écumantes de bave, poursuivait frénétiquement ces boules de poils agiles qui lui échappaient. Lorsque l'une disparaissait, l'autre miaulait froidement derrière-lui, faisant monter sa colère. Il se jetait alors et manquait systématiquement l'animal qui avait nonchalamment posé une patte de côté ou était descendu de son perchoir. Cela dépassait le stade de la frustration et de l'entendement. Avec autant de chats rassemblés et passant dans cette pièce, il aurait au moins du en toucher un par accident.
Tirant les draps, les déchirant, renversant les meubles, il finit par sortir dans la rue en poursuivant des félins qui ne le fuyaient pas. Lorsque le jour arriva, vidé de toute énergie et les muscles sifflant, il s'endormit à même le sol et ne se réveilla que le soir, alors qu'il était déjà cerné de créatures geignantes pour les unes, aggressives pour les autres. Mais qui ne le voyaient toujours pas.

Et le rythme se fit ainsi : dormir le jour et chasser à la nuit. Ses sens s'aiguisèrent et son pas se fit plus coquin et alerte. Il apprit à épier l'opportunité, à provoquer l'occasion qui lui permettrait de ses saisir entre ses pattes ces agiles nuisibles.
Lorsque cela se fut produit, lorsque sa première prise lui fut acquise, il se laissa aller sur son séant. Et devant le cadavre du chat reposant devant lui, il leva les yeux vers le ciel et poussa un long miaulement. Il se lécha ensuite les babines et, poussant ses pattes arrières, bondit en avant parmi la meute, griffes sorties et yeux roublards.

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