La Princesse... et les autres


Il était une fois un Royaume qui avait effectivement un Roi, mais pas de Reine et tout juste une Princesse. Celle-ci n'était bonne aux yeux de son père qu'à être mariée, pour le reste il valait mieux passer son chemin. Le Roi avait déjà fait plusieurs tentatives en organisant des tournois, en faisant des lâchers de Dragons pour repérer les Héros, en vain. Cela se terminait en général dans un bain de sang abominable et les candidats au rôle de Prince se faisaient de plus en plus rares. Le Roi n'était pas désespéré mais le Peuple, lui, s'impatientait grandement et manifestait son agacement par de nombreux pillages et botellón en tous genres.

Au palais royal l'émeute n'était pas encore là mais dans l'air tout semblait indiquer qu'elle ne se ferait pas trop attendre. D'ailleurs dans la salle du Conseil, le Grand Chambellan ne s'y trompait pas - ni personne - en déclarant toutes les cinq minutes
"Je sens l'air vibrer, l'émeute est à notre porte."
L'Archiduc, qui se tenait à côté de celle-ci prêt à intervenir si jamais elle faisait irruption, failli justement embrocher le Roi à son entrée. Le Roi commença par jeter un juron à l'Archiduc puis lui-même dans le fauteuil le plus proche.
"Ma fille a disparu".
Le silence causé par cette phrase fut rapidement éclipsé par un brouhaha sauvage difficilement transcriptible ici. Le Roi calma tout le monde d'un geste de lassitude et reprit la parole, seul :
"Le Grand Méchant Loup a été aperçu avec elle il y a quelques heures, son projet est de se marier avec elle à Las Vegas pour ensuite m'assassiner et exercer ses prérogatives légales sur le trône pour s'emparer de sa couronne. Rien ne l'en empêche puisque nous n'avons heureusement pas établi le parricide comme méthode illégale d'accès au pouvoir..."
Le Roi poussa un soupir et commanda à souper, ce qu'un domestique lui apporta immédiatement. Avalant à grandes cuillerées avec forts bruits de sussions, il ne prenait aucunement garde ni aux propos de ses conseillers, ni sa à manche en dentelle qui venait tremper régulièrement dans son potage.
S'ensuit un dialogue décousu qui, s'il était adapté au théâtre, verrait la suite du roi entrer et sortir par toutes les portes présentes et gêner au mieux les principaux comédiens à l'aide d'une chorégraphie certes un peu bancale mais très complexe.

"Il faut l'arrêter !
- Quand cela s'est-il produit ?
- Où sont Chasseur et Charmant ?
- Monsieur, votre manche !
- Fermons les aéroports, plus de vols jusqu'à nouvel ordre contradictoire !
- ...Fouilles systématiques à l'entrée des poulaillers... Royaume d'urgence...
- Où sont nos garnisons ? Protégeons le Roi !
- La garde ! La garde ! La garde mes enfants !"
Et ainsi de suite...

Le Roi poussa son assiette sur la table jusqu'à la faire tomber dans la poubelle enchantée car elle n'attendait que cela pour se nourrir de porcelaine.
"Messieurs, vous perdez votre temps, j'ai déjà signé mon acte de capitulation. Le Loup était en possession des Bottes de sept lieues, il n'a eu donc besoin que de quelques pas pour rallier Las Vegas, se marier et revenir ici. Pour votre information le Chasseur est à la retraite depuis des mois (il taquine la truite à ce qu'il paraît) et Charmant coule des jours et des nuits d'ivresse dans son bar à vierges flottant.
- Mais majest..."
Le Roi sorti son épée et coupa la parole de son Chancelier.
"Le Grand Méchant Loup est en ce moment même dans le palais. Il retient la Princesse en otage et a menacé de la couper en petits bouts et de me la faire servir cuite si je ne lui remettait pas immédiatement les clés du Royaume. Vous imaginez mon petit diamant réduit en tranches sanguinolentes dorées à points ? Quel barbare ! Je suis moi homme de paix et d'amour, j'ai tout de suite sacrifié le Royaume pour mon petit calisson. Messieurs, je vous ai tous embauchés car je vous trouvais stupides et vous ne m'avez pas déçu. Grâce à vous j'ai pu diriger le Royaume en total despote pendant des années qu'aucun d'entre vous n'y trouve rien à redire. Je ne saurais comment vous remercier et n'en ai de toutes façons pas l'envie. Maintenant attrapez ce qui vous reste de dignité et sortons, je vous prie."

Sur cette dernière déclaration, le Roi se leva seul et malgré les pesants regards qui le ralentissaient, parvint à atteindre la porte menant à la sortie. Celle-ci s'ouvrit brusquement alors qu'il allait en saisir la poignée. Dans le fond de la pièce, un domestique s'empare d'un archer et fait geindre une contrebasse sur un do profond et grave. Hormis le Chancelier pour des raisons évoquées plus haut, tous s'exclament :
"Princesse !!"
La Princesse entre.
"Vous êtes saine et sauve !"
La princesse s’assoit sur la table et rajuste son bas-résille.
" Où est le Grand Méchant Loup ?"
La princesse se redresse, tire sur sa mini-jupe et sort une enveloppe cachetée de son bustier.
"Grand... méchant... et un peu con aussi. Je l'ai séduit, capturé, ligoté et vendu aux trois Petits Cochons qui se sont dirigés tous affamés vers la Grosse Fournaise
- Le restaurant d'Hansel et Gret...
- Peu importe. Papounet, j'ai là ta capitulation au profit de mon récent-mais-à-l'heure-qu'il-est-défunt mari, ce qui en droite ligne me propulse sur le siège du patron. Il va sans dire que j'ai tout manigancé, je te passe les détails dans l'ordre : la libération du Loup, le vol des Bottes, le mariage à Las Vegas... Bref, fallait pas m'ennuyer avec ces histoires de Héros, y'en a plus aucun qui a les couilles d'aller rôtir tous les monstres que tu as largué dans le Royaume, alors quant à me satisfaire... Maintenant dehors, je m'occuperai de mes affaires seule désormais !"

L'ex-roi sortit suivi de son ex-troupe d'ex-conseillers, un peu déçu de s'être fait filouter de la sorte et en même temps fier qu'une telle manigance provienne de sa propre engeance. Ce duel de sentiment ne dura guère puisqu'à peine arrivés hors du palais, le Peuple se jeta sur eux et les lyncha à de nombreuses reprises avant de les tuer, ce qui calma un peu son ardeur et fit perdre à l'atmosphère quelques degrés bienvenus.
La Princesse devint Roine, le Royaume un Roinaume et tout se passa alors beaucoup mieux. Et les enfants avec.

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