Morceaux choisis

Par la porte entr'ouverte, il vit effectivement qu'il s'agissait d'un paquet soigneusement anodin. De facture blanche et de scotch marron, l'objet pouvait passer pour sa dernière commande de livre chez Amazon. Il ouvrit la porte. Dans la rue, il n'y avait personne. Hormis quelques lumières alentour, les habitations étaient encore endormies et nul passant ne troublait la quiétude des trottoirs. Avec un soupir dans lequel s’exhalait la peur et la lassitude, il pris le colis dans ses mains et regarda l'écriture qui formait son nom et son adresse. Le cinquième envoi. Déjà.
Une brise soudaine le fit trembloter et il rentra chez lui, le paquet sous le bras. Il le déposa sur la commode de l'entrée et alla dans le salon s'affaler dans son fauteuil pour terminer son café encore fumant. Tout en regardant ses murs peint d'un vert olive, il se sentait dérangé par le tictaquement de la pendule. Elle allait bientôt se réveiller et il devait se l'admettre, il allait devoir lui parler.
Resserrant sa robe de chambre, il se dirigea vers la cuisine pour remplir sa tasse de café. Cela fait, il admira un certain temps les volutes de fumée qui s'échappaient lentement du liquide brunâtre. Des flux mystérieux et aléatoires et paisibles... Si paisibles. Le bruit d'un réveil à l'étage le sorti de son introspection et, ravalant un soupir, il s'orienta vers le débarras où il avait dissimulé dans une boite le contenu des quatre autres paquets. Il passa récupérer le cinquième dans l'entrée, se rassit dans le fauteuil et par des gestes lents entreprit d'ouvrir le colis. Il entendit la porte de la salle de bain se refermer.


Lorsqu'elle descendit dans la cuisine, son regard fut attiré par la tasse de café froid qui gisait près de la cafetière. Elle s'en servit une pour elle et le chercha du regard : il n'était pas dans le salon. Bizarre, elle aurait pourtant juré qu'on avait sonné à la porte et qu'il était descendu ouvrir, après il attendait toujours dans son fauteuil qu'elle se lève. Elle le trouva sur le petit balcon derrière la maison. Il contemplait la contre-allée qui longeait leur résidence en pleurant silencieusement, sans sanglots, sans éclats, avec dans ses mains un petit coffre en bois assez abimé. Il se retourna vers elle et garda le silence.
Au bout d'un moment, il déclara : "je vais partir" et lui tendit le coffre. Il baissa les yeux et se retourna vers la contre-allée. Elle observa le contenu de la boite et ne put réprimer un haut-le-cœur. Puis elle referma le couvercle. "C'est elle, c'est pour ça ? C'est elle qui t'a renvoyé ça ?". De dos, il lui répondit par un hochement de tête. "Tu ne peux pas me quitter, dit-elle, elle te l'a rendu, elle te l'a rendu pour moi !". Une boule commençait à se former au fond de sa gorge, elle désespérait de voir la situation lui échapper après tant d'années passées à la maîtriser. Elle attendait une réaction, il n'y en eu pas. Il refit le nœud de sa robe de chambre et rentra dans la maison s'asseoir sur le fauteuil. Il était blême.

Il la vit rentrer peu après lui et se diriger à grands pas vers la cheminée où elle balança le coffre. Un sentiment d'angoisse de plus en plus vif s’emparait de lui, mais au fond il était déjà résigné, il avait prévu sa réaction et l'avait admise. Les lèvres sèches, il essaya de lui dire de se calmer mais aucun son ne sortait de sa bouche. Elle au contraire bouillonnait.

"Je ne peux pas te laisser partir !
- Je le sais.
- Je ne peux pas !
- Oui.
- C'est à moi de l'avoir !
- ..."
Son misérabilisme la défigurait de colère. Elle pris plusieurs allumettes dans la boite au-dessus de l'âtre et les craqua ensemble, attendant encore une réaction. Il fut sur le point de dire quelque chose puis se ravisa et, tout se calant lentement le dos dans le fauteuil, la toisa d'un air las d'où émargeait une pointe de défi. Elle se retourna pour envoyer les allumettes dans la cheminée et s'étonna que le feu prit si soudainement. Lui se tordait sur son fauteuil, sa peau se noircissait et commençait à fumer par endroit, dégageant une odeur de chair faisandée en crémation. Il la regardait par à coups, en se tortillant et en portant ses mains vers la place qu'aurait occupé son cœur si il n'était pas en train de brûler dans l'âtre. Par deux fois il lança un bras vers la cheminée, tentant vainement de se lever pour aller récupérer son organe, mais à chaque fois la douleur (ou sa faiblesse) l'en empêchait.
Quand il ne fut plus qu'un humanoïde cramoisi et fumant, elle s'autorisa à tomber à genoux et à pleurer. Silencieusement d'abord, puis hystériquement.

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