Repassage

Une flatulence monumentale retentit dans l'air, emportant sur son passage ce qu'il restait de dignité au repas.

Isaac s'empare prestement de la salière devant lui et, sans un mot, dévisse le bouchon et en renverse le contenu dans son gigot. Il soulève ensuite son plat à deux mains pour le lancer à la figure de sa femme, assise en face de lui mais deux chaises plus à gauche.
"J'ai été suffisamment tolérant jusque-là, charogne !"
Marjorie pleure sans discontinuer depuis une heure déjà. L'atterrissage bruyant dans son assiette d'un bout de viande échappé du plat d'Isaac ne l'interrompt pas. Tout au plus s'interroge-t-elle une seconde sur l'incongruité de la présence d'agneau dans son assiette au milieu des brocolis et des pommes de terre, étant végétarienne de naissance. Puis elle reprend ses sanglots, ignorant superbement Gaston qui tente en vain de lui sécher ses larmes et sa robe de manière non-platonique.

La femme d'Isaac s'appelle Déborah. Bien qu'elle aime le gigot, sa préférence va au bœuf bourguignon ce qu'elle sait que son mari n'ignore pas. Voir ainsi Isaac lui offrir son plat de manière virile (Isaac est un homme très viril) l'agace au plus haut point puisqu'elle avait déjà noté (une heure auparavant) la présence d'un bœuf bourguignon dans l'assiette de Samuel (le voisin de droite d'Isaac).
Sans réfléchir aux conséquences, elle adresse immédiatement un doigt d'honneur à son mari. Le geste est impeccablement exécuté. Devant tant d'obscénité, Isaac ne peut que retenir sa respiration, attendant que quelque chose d'intelligent lui vienne à l'esprit. La table ne bouge pas cependant que le reste de la tablée est au bord de l'émeute : Tante Sidonie vient de profiter de son malaise vagal pour s'évanouir sur la poitrine de Judith. Clarence s'empare d'un pied-de-biche pour tenter de déloger la malheureuse.

Tandis que Déborah rengaine son doigt, Isaac n'a toujours pas expiré. Profitant de l'occasion, Alphonse se glisse subrepticement derrière lui et l'assomme d'un coup avec son fauteuil Louis XV. Puis, il le saisit par le col pour le dégager de la table et l'envoie hors de portée des autres convives.
"Maintenant on passe au dessert et vous allez ensuite me faire le plaisir de foutre le camp. Et je ne veux plus RIEN entendre !".
Tout le monde se rassoit sur son fauteuil, hormis Alphonse qui vient de casser le sien et se met donc en tailleur sur la moquette et Isaac, cet inconscient.

On fit taire Marjorie en lui restituant son pucelage et tout se déroula tel qu'Alphonse l'avait exprimé un peu plus tôt.

Commentaires