En des temps où l'on n'avait pas à se préoccuper de la météo, ils vivaient : les ours. Dans une forêt qui n'avait rien de sacré ou de sombre, Liant et Maugre étaient amis au moins depuis assez longtemps que Liant pouvait se souvenir. Et il a bonne mémoire.
Il savait très bien par exemple que Maugre est un ours instable, quelque chose qui pourrait vous péter au museau si d'aventure vous renifliez le mauvais côté de la bestiole. Ce qui ne rassurait pas Liant c'est que, chemin faisant, Maugre présentait l'unique caractéristique du lait dans une soupe que l'on réchauffe : le débordement. Liant avait beau tripoter ses coussinets dans tous les sens, il était gagné lui aussi par une étrange exaspération mêlée d'impuissance. La raison venait de l'extérieur et de l'intérieur à la fois, leur faim grandissait et pas moyen de mettre la main sur autre chose que de l'eau pour avoir du potable.
Traversant la forêt, la conversation ne s'engageait pas vraiment. Maugre roulait des épaules dans son coin et Liant tentait vainement de trouver un sujet qui puisse les amener à engager un dialogue monotone. Le silence prédominait. Voilà deux jours déjà qu'ils n'avaient rien avalé hormis de l'oxygène et des mouches. Une grave situation les amenant à cheminer au travers de broussailles et fougères à la recherche de Vieilles Rides. Mais Vieilles Rides on ne le dérange pas comme ça, sachez-le, il faut d'abord commencer par le trouver.
Vielles Rides est peu voire pas léché. En tant qu'ours, il appartient aux anciennes générations, les Fossiles comme on les appelle et seule la mémoire de Liant garde souvenir de l'importance de leur groupe qui remonte bien avant l'Union Sacrée et la Grande Migration. Liant était au courant de la présence de l'ancien dans cette partie de la forêt, mais leur exploration tournait plus à la perte d'énergie qu'à un réel succès.
Au bout de deux jours et demi d'expédition, l'exaspération de Maugre commençait à déteindre sur Liant. Une pause se décida et, tandis que Liant s'étirait dans son coin, l'autre ours tenta vainement de mâchouiller quelques herbes alentours. Peine perdue, il vomissait tout. De dépit, Maugre s'affala lourdement sur un petit tertre en poussant un gros soupir agacé.
Un bruit de branchages que l'on piétine fit se retourner Liant. Derrière Maugre qui était sur le point de s'endormir était apparue une ourse défraîchie et visiblement de très mauvaise humeur. Liant était sur le point de prévenir son ami de sa présence lorsqu'elle darda un regard menaçant vers lui. Liant ne bougea plus. L'ourse s'approcha avec forts bruit vers Maugre qui semblait décidé à ignorer tout évènement extérieur et d'un coup d'épaule ferme et puissant le délogea de son emplacement avant de s'y installer nonchalamment, un petit sourire satisfait révélant ses commissures de lèvres.
Maugre se releva sous le coup d'une colère titanesque, Liant vint se placer devant lui sans tourner le dos à l'ourse.
"Vieilles Rides" dit-il en fixant de ses yeux la nouvelle venue. Celle-ci découvrit plus largement ses dents gâtées dans un sourire qui faisait froid dans le dos. Même selon des critères esthétiques assez ouverts, elle restait laide. Un corps musculeux et ratatiné à la fois, une toison de poils dont l'entretien tenait du crime de soins et des rides incroyables sur tout le corps, comme si ses muscles et organes avaient fondu laissant sa peau former des plis hideux. Il émanait pourtant d'elle une telle puissance que Maugre préféra passer son courroux sur un arbuste plutôt que d'essayer d'aller lui chercher des noises.
"Tu es une femelle, je ne savais pas ça, avança Liant.
- Ouais. Les mâles le pensent tous.
- On te cherchait, on a besoin de... commença Maugre.
- D'aide oui. Z'avez un problème digestif et vous v'nez voir la vieille pour lui demander de vous torcher le cul. J'ai l'habitude.
- Vous êtes au courant de ce...
- Bien sûr, t'imagines que j'hiberne en permanence ? J'vous observe depuis trois jours. Pas les plus futés hein, mais j'en ai vu d'autres. Savez pas r'garder où qu'y faut, c'tout.
- Regarder où il faut ?
- Ouais. Préoccupés par la bouffe, les plantes, la bidoche ? C'est l'bide qui guide vot' cerveau, le problème il est pas dans ce dont vous avez b'soin, c'est dans les arbres.
- Les arbres ?
- Ouais. R'garde-les.".
Maugre et Liant fixèrent les gigantesques chênes les entourant du tronc jusqu'à la cime. A priori rien ne paraissait troubler l'impassibilité de ces piliers de la forêt. Sauf...
"Hé, y'a rien qui gigote. Pas d'vers ou d'fourmi rien. On dirait que c'est mort.
- Presque, Maugre", persifla Vieilles Rides. Elle s'était déplacée de cinq mètres vers un arbre tandis qu'ils avaient levé la tête. Liant était sidéré par sa discrétion. Ils s'approchèrent de la Fossile et la regardèrent expulser d'un coup de patte une touffe de lichens moisie qui tenait à peine sur l'arbre.
"Endormis 'fait. C't'un vieux truc qu'on avait connu autrefois, une réminiscence des esprits a qui on avait fait la niaque 'vant d's'installer là. M'étonne qu'il en reste m'bon. Ç'ui là l'est pas très fort, plutôt peureux même. Matez ça.".
Vieilles Rides se mit sur ses deux pattes arrières et entrepris de frotter son dos sur le tronc de l'arbre avec forts halètements. Les plis de sa peau gondolaient et formaient des vagues difformes sur son corps. Tout en se déhanchant, elle fixait Liant d'un regard ou lui ne savait pas s'il devait y voir un désir sexuel malsain ou une envie de l'éventrer. Lui en tout cas tenait particulièrement à ne pas trainer plus longtemps en présence de l'ourse... Vieilles Rides stoppa sa danse révulsante et en scrutant l'arbre, Maugre et Liant jurèrent le voir prendre une inspiration. Ils devaient tirer des gueules comiques car Vieilles Rides partit d'un grand rire.
"Voilà. C'comme ça qu'on l'chasse lui. M'tnant vous pouvez vous mettre au boulot les gars".
Disant cela, elle avait déjà commencé à s'éloigner. Maugre et liant firent de même dans la direction opposée. Au bout de quelques pas, Liant se retournant constata que Vieilles Rides était tournée vers lui et le fixait avec un sourire carnassier. Il remercia la Fortune d'avoir l'estomac vide, sinon il se serait délesté de son contenu dans l'instant.
Liant et Maugre regagnèrent leur partie de la forêt et informèrent les autres ours de la mystérieuse danse de Vieilles Rides afin de chasser l'esprit qui hantait les arbres. Le mot passa et, au bout d'un certain temps, les arbres se réveillèrent et la vie forestière repris le cours dont elle s'était écarté. Allez savoir pourquoi, mais depuis ce temps, les ours continuent de se frotter aux arbres. Peut-être l'esprit ne s'est jamais en allé ou peut-être, plus simplement, cela fait-il juste du bien à la colonne vertébrale.
Au bout de deux jours et demi d'expédition, l'exaspération de Maugre commençait à déteindre sur Liant. Une pause se décida et, tandis que Liant s'étirait dans son coin, l'autre ours tenta vainement de mâchouiller quelques herbes alentours. Peine perdue, il vomissait tout. De dépit, Maugre s'affala lourdement sur un petit tertre en poussant un gros soupir agacé.
Un bruit de branchages que l'on piétine fit se retourner Liant. Derrière Maugre qui était sur le point de s'endormir était apparue une ourse défraîchie et visiblement de très mauvaise humeur. Liant était sur le point de prévenir son ami de sa présence lorsqu'elle darda un regard menaçant vers lui. Liant ne bougea plus. L'ourse s'approcha avec forts bruit vers Maugre qui semblait décidé à ignorer tout évènement extérieur et d'un coup d'épaule ferme et puissant le délogea de son emplacement avant de s'y installer nonchalamment, un petit sourire satisfait révélant ses commissures de lèvres.
Maugre se releva sous le coup d'une colère titanesque, Liant vint se placer devant lui sans tourner le dos à l'ourse.
"Vieilles Rides" dit-il en fixant de ses yeux la nouvelle venue. Celle-ci découvrit plus largement ses dents gâtées dans un sourire qui faisait froid dans le dos. Même selon des critères esthétiques assez ouverts, elle restait laide. Un corps musculeux et ratatiné à la fois, une toison de poils dont l'entretien tenait du crime de soins et des rides incroyables sur tout le corps, comme si ses muscles et organes avaient fondu laissant sa peau former des plis hideux. Il émanait pourtant d'elle une telle puissance que Maugre préféra passer son courroux sur un arbuste plutôt que d'essayer d'aller lui chercher des noises.
"Tu es une femelle, je ne savais pas ça, avança Liant.
- Ouais. Les mâles le pensent tous.
- On te cherchait, on a besoin de... commença Maugre.
- D'aide oui. Z'avez un problème digestif et vous v'nez voir la vieille pour lui demander de vous torcher le cul. J'ai l'habitude.
- Vous êtes au courant de ce...
- Bien sûr, t'imagines que j'hiberne en permanence ? J'vous observe depuis trois jours. Pas les plus futés hein, mais j'en ai vu d'autres. Savez pas r'garder où qu'y faut, c'tout.
- Regarder où il faut ?
- Ouais. Préoccupés par la bouffe, les plantes, la bidoche ? C'est l'bide qui guide vot' cerveau, le problème il est pas dans ce dont vous avez b'soin, c'est dans les arbres.
- Les arbres ?
- Ouais. R'garde-les.".
Maugre et Liant fixèrent les gigantesques chênes les entourant du tronc jusqu'à la cime. A priori rien ne paraissait troubler l'impassibilité de ces piliers de la forêt. Sauf...
"Hé, y'a rien qui gigote. Pas d'vers ou d'fourmi rien. On dirait que c'est mort.
- Presque, Maugre", persifla Vieilles Rides. Elle s'était déplacée de cinq mètres vers un arbre tandis qu'ils avaient levé la tête. Liant était sidéré par sa discrétion. Ils s'approchèrent de la Fossile et la regardèrent expulser d'un coup de patte une touffe de lichens moisie qui tenait à peine sur l'arbre.
"Endormis 'fait. C't'un vieux truc qu'on avait connu autrefois, une réminiscence des esprits a qui on avait fait la niaque 'vant d's'installer là. M'étonne qu'il en reste m'bon. Ç'ui là l'est pas très fort, plutôt peureux même. Matez ça.".
Vieilles Rides se mit sur ses deux pattes arrières et entrepris de frotter son dos sur le tronc de l'arbre avec forts halètements. Les plis de sa peau gondolaient et formaient des vagues difformes sur son corps. Tout en se déhanchant, elle fixait Liant d'un regard ou lui ne savait pas s'il devait y voir un désir sexuel malsain ou une envie de l'éventrer. Lui en tout cas tenait particulièrement à ne pas trainer plus longtemps en présence de l'ourse... Vieilles Rides stoppa sa danse révulsante et en scrutant l'arbre, Maugre et Liant jurèrent le voir prendre une inspiration. Ils devaient tirer des gueules comiques car Vieilles Rides partit d'un grand rire.
"Voilà. C'comme ça qu'on l'chasse lui. M'tnant vous pouvez vous mettre au boulot les gars".
Disant cela, elle avait déjà commencé à s'éloigner. Maugre et liant firent de même dans la direction opposée. Au bout de quelques pas, Liant se retournant constata que Vieilles Rides était tournée vers lui et le fixait avec un sourire carnassier. Il remercia la Fortune d'avoir l'estomac vide, sinon il se serait délesté de son contenu dans l'instant.
Liant et Maugre regagnèrent leur partie de la forêt et informèrent les autres ours de la mystérieuse danse de Vieilles Rides afin de chasser l'esprit qui hantait les arbres. Le mot passa et, au bout d'un certain temps, les arbres se réveillèrent et la vie forestière repris le cours dont elle s'était écarté. Allez savoir pourquoi, mais depuis ce temps, les ours continuent de se frotter aux arbres. Peut-être l'esprit ne s'est jamais en allé ou peut-être, plus simplement, cela fait-il juste du bien à la colonne vertébrale.
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