La trilogie du cœur 2 : Chasseur

Bien des années ont passé après. Bien des années se sont effondrées sous leur propre poids et la légende a gonflé. L'histoire de la Belle et de son dévorant Cœur géant a fait le tour du royaume et la forêt verdoyante et luxuriante n'est plus qu'un ramassis hostile d'arbres haineux et de buissons suspects. Nombreux sont les héros et aventuriers s'étant risqués dans la forêt et ceci sans, bien évidemment, qu'aucun ne repasse jamais l'orée. Mais ça, Chausseur s'en fiche. Lui qui depuis tout petit vit avec ce conte dans son corps et dans sa tête, n'a pas grand chose à curer d'histoires de défaites. Enfant déjà, Chausseur avait le regard assassin, des yeux à vous faire déguerpir le moindre malandrin, alors maintenant, comprenez, avec ses cent kilos répartis sur ses deux mètres de muscles, n'importe qui y réfléchirait à deux fois avant de ne serait-ce que lui adresser la parole. Heureusement tout le monde n'est pas n'importe qui et ses voisins, sa famille ou ses fréquentations régulières le savent bien : Chasseur est un gentil, un être tout ce qu'il y a de bien.

Chasseur respire la volonté et au fond de ses yeux gris, eh bien, ont peut y admirer l'étendue de générosité qui l'anime. Étrange pour quelqu'un de si occupé, mais voilà, Chasseur sait depuis qu'il est né que sa destinée ne sera autre que d'occire le Coeur de la Belle et ensuite de la ravir, elle. Alors il est sans soucis et progresse tranquillement dans tranquillement dans sa vie, tout sourire. Tiens, il ne manquerait plus qu'un léger air joyeux du guitare pour l'accompagner sur ses pas.
En revanche, personne parmi ses proches n'y croit. Ni sa famille, ni ses amis. Mais cela ne le renfrogne pas et un jour comme les autres, sans qu'il y ait réfléchi plus que guère, le voilà sur les routes avec baluchon, guenilles de rechange et pour toute guides soleil et étoiles. La direction importe peu, tout le monde sait où est la forêt, tout le monde sait toujours où il ne faut pas aller.

Quelques péripéties et aventures assez inexprimables se succédèrent sur son chemin et, au bout d'un temps certain, Chasseur fut en mesure d'apercevoir la forêt. Arrivé, il pensa incongrûment que la barbe qu'il avait laissée pousser et ses vêtements devenues loques ne faisaient pas de lui quelqu'un de très présentable pour un premier rendez-vous. Graphiquement parlant, on s'entend. Cette pensée ne lui resta pas bien longtemps en tête et il ne tarda pas à s'enfoncer entre fougères, frênes et arbrisseaux malveillants. Chemin procédant, Chasseur ressent toute l'hostilité de la forêt qui s'imprègne en lui, comme cette humidité exécrable que son corps rejette par force sudation. Même l'air qu'il respire semble vouloir rester en lui et, lentement, l'assécher. Tout cela lui fait jeter son barda pour ne garder que culottes et godillots maculés de terre séchée. Avancer léger. Où est-elle ?

Là.

Là dans le creux d'un gigantesque tronc étêté. Elle est belle la Belle, toujours autant, mais aussi pâle et absente. Chasseur s'était arrêté pour la contempler. Il raffermit sa prise sur le manche de son épée bâtarde et avance un premier pas. De derrière le tronc émerge alors le Cœur, monstrueux et immense. Celui-ci glisse sur le sol en laissant derrière lui une traînée plutôt visqueuse. Il pulse silencieusement et il semble à Chasseur qu'à chaque battement la forêt perd un peu plus d'éclat, dans une molle agonie. Et puis le Cœur bondit sur Chasseur. Oui, un cœur qui bondit c'est possible et surprenant et cela étonna d'ailleurs Chasseur qui n'eût le temps que de plonger sur sa droite pour éviter la grande gueule dentée. De plus près, on peut constater que le Cœur possède aussi des aspérités changeantes, parfois buccales, parfois rasantes. Chasseur en pris note en se relevant tandis que le Cœur, rebondissant, fondait sur lui. Et la danse du combat commença, faite d'esquives et d'estocs, de gerbes de sangs de sueur et de poussière, rythmée par les halètements du seul Chasseur puisque le Cœur endurait silencieusement son labeur.

Chasseur cherchait. Une ouverture au début puis il se rendit compte que ce n'était pas dans le combat qu'il aurait le Cœur de la Belle, il allait perdre au contraire : il suffoquait déjà et les plaies s'accumulaient continuellement sur son corps. C'est par l'amour, le sien, qu'il aurait la Belle. Juste un instant sûrement, juste un instant... Il sourit et pleura en même temps. Serein, Chasseur toisa le Cœur et évace son arme déchira sa chair afin d'atteindre le sien. Il le pris dans sa main et enfonça son bras dans la gueule du Cœur qui le lui sectionna avec force. La Belle cria et Chasseur, en retombant, croisa son regard juste un instant... Lorsqu'il toucha le sol, il était mort et le franc sourire sur son visage de marbre jurait délicieusement avec les larmes qui finissaient de lui couler des yeux.

La Belle se leva gauchement de son antre de bois mort et observa tour à tour Chasseur mort et son Cœur à terre qui se liquéfiait dans l'herbe. Celui-ci palpitait par saccades et ci et là quelques bulles de sang gonflaient pour éclater. La Belle alla embrasser celui qui l'avait tant aimé et entreposa son corps dans le creux de l'arbre qui l'avait hébergé toutes ces années. Puis elle sourit. Certes, elle était triste de la mort de Chasseur mais il lui avait donné son cœur et maintenant, enfin entière, elle pouvait espérer sentir et aimer de nouveau. Dans sa robe usée, la Belle se mit en route alors que les premières étoiles du soir émergeaient. Elle sortit de la forêt.
Actuellement, en lieu et place du tronc creusé trône un immense arbre d'une centaine de mètres, robuste et bienveillant. Ausculté sous un certain angle, on constate qu'il sourit.

Commentaires